Novatrices, puissantes, controversées, ses créations ont fait voler en éclats les codes de la mode du XXe siècle : de la fin des années 1920 au milieu des années 1950, Elsa Schiaparelli a révolutionné l’univers de la Haute couture et du prêt-à-porter à grands coups d’extravagance surréaliste et de rose shocking. Fermée en 1954, la Maison renaît ces dernières années, brillant sur la scène mondiale dans une formidable fusion d’élégance, d’authenticité et de créativité.
L’éveil d’un esprit désinvolte
Paul Poiret a reconnu son potentiel en couture, la motivant à embrasser une carrière dans la mode. Spécialisée dans certains aspects de la confection, sans maîtriser le dessin ou les techniques complexes, elle est pourtant devenue l’une des créatrices de mode les plus influentes du XXe siècle. Haute couture, prêt-à-porter et sportswear, lingerie, parfums, bijoux et accessoires : pendant près de trente ans, Elsa Schiaparelli a tout emporté sur son passage. Alors que les tendances parisiennes l’opposaient à la sobriété sophistiquée de sa contemporaine française Coco Chanel, Schiaparelli a su faire de la mode un art à sa (dé)mesure. Un art libre, fantaisiste et fantasque, toujours inventif, souvent impertinent. Sa force ? Sa vision ! Avant-gardiste. Surréaliste. Irrévérencieuse. Une vision nourrie d’une imagination sans limite, préfigurant le métier moderne de directeur artistique actuel.
Il était une fois un pull…
Tout commence ce jour où Elsa Schiaparelli tombe en admiration devant le sweater porté par l’une de ses amies. L’œuvre d’une tricoteuse arménienne, apprend-elle. Déterminée, elle parvient à retrouver cette dame à qui elle décide de passer commande à son tour. Ainsi est née la pièce emblématique de la future Maison Schiaparelli : le pull en maille tricoté main avec son motif en trompe-l’œil, un nœud blanc sur fond noir. Un savant jeu d’illusion auquel viendra s’ajouter le motif d’une vareuse, d’un chemisier ou d’une cravate. À travers ce pull, c’est toute une philosophie qui surgit : rendre l’ordinaire extraordinaire ! En janvier 1927, Elsa Schiaparelli lance sa première collection, Présentation n°1, à son domicile. La révolution était en marche…
Oser pour tout réinventer
Et Elsa Schiaparelli ose tout ou plutôt ne s’interdit rien ! Avec elle, la fermeture éclair gagne ses galons dans l’univers de la Haute couture : le zip devient un élément décoratif, «comme une broderie», note Jean-Paul Gaultier. Elle crée le maillot de bain une pièce à soutien-gorge intégré. Elle est la première à utiliser des licences pour ses créations. Elle lance le tweed pour le soir, associe le noir d’une robe longue au blanc d’une veste portefeuille. Elle invente les tailleurs à épaules marquées, ose la jupe-culotte et les chapeaux excentriques. Elle est également la première à introduire boutons et bijoux originaux dans la Haute couture. À l’image de l’emblématique collier Aspirine conçu en collaboration – sa première – avec une autre Elsa, l’auteure franco-russe Elsa Triolet : géniale composition de perles de porcelaine rappelant les comprimés antidouleur !
Dalí-Schiaparelli, l’art surréaliste à la folie !
Amie des dadaïstes, Elsa Schiaparelli devient la figure de proue des surréalistes. Elle côtoie et collabore avec Salvador Dalí, Jean Cocteau, Man Ray et autre Alberto Giacometti. Des surréalistes qui lui inspireront toute une série d’accessoires tels que le bracelet en fourrure ou le Mad Cap, cet étonnant chapeau en maille capable de prendre toutes les formes. Mais c’est avec Salvador Dalí qu’Elsa Schiaparelli signe sa collaboration la plus follement créative ! On lui doit sa sensationnelle robe-homard en organza imprimé. Création merveilleusement subversive que portera l’Américaine Wallis Simpson, future duchesse de Windsor, lors de sa lune de miel avec le prince Edward, Duc de Windsor. Mais Dalí-Schiaparelli c’est aussi un poudrier en forme de cadran téléphonique, une robe squelette aux os saillants ou encore le fameux chapeau chaussure. D’inoubliables extravagances, rencontre entre la fantaisie de la couturière et les obsessions fétichistes de l’artiste espagnol.
Parfum de Rose
S, c’est le nom donné à la première création olfactive d’Elsa Schiaparelli en 1929. Elle deviendra la première lettre de tous les parfums créés par la Maison – à l’exception du parfum Zut. À l’instar du mythique Shocking, ce parfum dont le flacon, en forme de buste de couturière, épouse les courbes de Mae West, incontournable sex-symbol hollywoodien de l’époque, fut créé en collaboration avec l’artiste surréaliste Léonor Fini.. Un parfum mythique auquel Elsa Schiaparelli choisit d’associer le tout aussi célèbre Shocking pink, éclatante nuance de fuchsia qui deviendra la couleur signature de la créatrice et de la Maison. C’est notamment le rose de l’hypnotique cape du soir Phœbus, chef-d’œuvre de la collection Cosmique de 1938-1939, ornée de sa scintillante broderie en forme de soleil. Une pièce d’orfèvre et une façon, encore une fois, pour Elsa Schiaparelli de casser les codes d’une Haute couture corsetée dans ses traditions.
Rose chic, rose choc !
Dans les années 1950, le Sshocking pink devient le hot pink, puis le kinky pink dans les années 1960. En France, on parle plutôt de rose shocking ou de rose coquin. Avec le temps, ce rose intense, vif et lumineux s’impose comme une nuance scandaleusement girly… et contestatrice. C’est le rose de la robe portée en 1953 par Marilyn Monroe dans « Les Hommes préfèrent les blondes » d’Howard Hawks. Ou encore, la même année, celui arboré par Zsa Zsa Gabor dans « Moulin rouge » de John Huston. Le Sshocking pink devient ainsi le symbole des mouvements punk de Londres dans les années 1970. Vivienne Westwood et Malcolm Mclaren le placardent sur la devanture de leur sulfureuse boutique Sex, ouverte en 1971 au cœur de la capitale anglaise. Et c’est encore le rose de la campagne d’Act Up « Silence = Mort », célèbre slogan politique de la lutte contre le sida.
Schiaparelli, la renaissance
Alors qu’elle ferme sa Maison en 1954, Elsa Schiaparelli s’éteint dans son sommeil en 1973. La marque restera ainsi endormie pendant près de quarante ans. Il y aura bien Jean-Paul Gaultier pour revendiquer l’héritage de la créatrice en créant en 1995 son parfum Le Mâle dont le flacon buste s’impose comme une déclinaison masculine tout aussi sexy du shocking de Schiaparelli. Il y a bien encore John Galliano pour s’inspirer de la géniale Italienne en reprenant son idée de l’imprimé journal – depuis maintes fois reprise – ou Yves Saint-Laurent, en 2000, pour réinterpréter la cape Phœbus. Mais il faudra attendre 2012 pour assister à la véritable renaissance de la Maison et voir Schiaparelli rouvrir officiellement ses portes à Paris, au célèbre n°21 de la place Vendôme. Une renaissance que Christian Lacroix salue l’année suivante en créant une collection entièrement consacrée à l’extravagante Elsa. Et en 2014, soixante ans après, Schiaparelli crée à nouveau l’événement lors de la Fashion Week de Paris en organisant son premier défilé Haute couture.
Schiaparelli façon Roseberry
Un Américain à Paris à la tête des créations d’une maison française fondée par l’extravagante Elsa… C’est l’histoire folle et le destin incroyable du Texan Daniel Roseberry, nouveau directeur artistique Schiaparelli depuis 2019 qui, de collection en collection, réussit avec talent à insuffler sa propre griffe tout en respectant l’ADN de la Maison. À l’inspiration nostalgique des années 1930, le jeune créateur préfère ancrer son inventivité dans un dialogue avec son époque… de la même façon qu’Elsa Schiaparelli interrogeait la sienne. Et c’est précisément là que se situe l’héritage : dans cette volonté permanente de rendre le quotidien plus vivant, plus surprenant : avec un bijou en guise de bustier, une robe Nuage en faille de soie, une autre en velours de soie rose shocking suspendu à un bijou ou encore une incroyable réinterprétation de la robe squelette en crêpe de soie et broderie de cristaux. Des matières incroyables, des volumes spectaculaires, des bijoux hors-norme : Elsa Schiaparelli peut reposer en paix, Daniel Roseberry a de l’exubérance à revendre.
Tapis rouges et Maison Blanche
Aujourd’hui comme hier, les créations Schiaparelli continuent d’illuminer les podiums et d’habiller les plus grandes célébrités. Aux Lauren Bacall, Marlène Dietrich et Arletty succèdent les Beyoncé, Michelle Obama et Emilia Clark. Mais aussi la mannequin Bella Hadid sur le tapis rouge du Festival de Cannes en 2021 dans une robe noire des plus sculpturales, sertie d’un collier en forme de poumons dorés ou l’actrice Emily Blunt en robe à strass lors de la cérémonie des Oscars en 2024. Ou encore Lady Gaga venue interpréter l’hymne américain sous la nef du Capitole en 2021 à Washington, à l’occasion de l’investiture du président Joe Biden. La star mondiale y était apparue vêtue d’une veste cintrée – et pare-balles ! – en cachemire bleu nuit, piquée sur la poitrine d’une broche colombe en étain doré, et d’une superbe jupe longue en faille de soie rouge. Un ensemble exceptionnel pour un instant des plus solennels. Dans un élan similaire de grandeur et d’innovation stylistique, Jennifer Lopez a captivé l’attention de tous les spectateurs à l’occasion du MET Gala 2024. Vêtue d’une création éblouissante de Haute couture Schiaparelli, conçue par Daniel Roseberry, sa tenue mélangeait audace et élégance, incarnant parfaitement l’esprit artistique de la Maison. La révolution continue…
Source: Monte-Carlo SBM
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